Bonjour,

Je vous le disais page Facebook du blog, j’ai eu l’occasion d’assister la semaine dernière à une conférence de Laurence Rameau intitulée "Aux sources du langage : le jeu et l'éducation". Son exposé m’a beaucoup plu, notamment parce qu’elle a défendu tout du long que les capacités des bébés sont multiples, et que le plus important pour qu’elles se révèlent n’est pas la course à la précocité souvent organisée par les adultes, mais bel et bien l’accompagnement, l’intérêt et la bienveillance que l’on apporte à l’enfant.

Pour ceux qui ne la connaissent pas, Laurence Rameau est puéricultrice, formatrice et consultante spécialiste de l’accueil des jeunes enfants, directrice de plusieurs publications professionnelles (Journal des Professionnels de la petite enfance, Assistantes maternelles magazine). Elle est également coordinatrice responsable pédagogique à l’Institut Petite Enfance Boris Cyrulnik.

Laurence Rameau a commencé son exposé en expliquant que jeu est sans doute le meilleur support de l'apprentissage du langage pour l’enfant. C'est en effet par le jeu que les bébés apprennent le fonctionnement du monde qui les entoure.

En tant qu’adultes, nous sommes tous atteints par l’amnésie de la petite enfance: nous ne possédons aucun souvenir entre 0 et 3 ans. Ce phénomène est inexpliqué, (d’autant plus que les chercheurs ont prouvé que même le fœtus a de la mémoire), mais il s’avère que personne ne se souvient, à l’âge adulte, de la manière dont il a appris à marcher, a parler ou de la façon dont il a intégré les différents concepts.

Contrairement à ce que nous croyons souvent, nous n'apprenons pas à nos enfants: ni motricité, ni langage. La seule manière dont nous intervenons dans cet apprentissage, c’est par le biais de l'environnement que l'on va mettre en place pour que l'enfant apprenne.

On a tendance à vouloir "enseigner" les choses à notre enfant de manière scolaire (= ce dont on se souvient en tant qu'adulte). Or, c’est totalement inutile. En effet, les chercheurs ont démontré que jusqu'à 3/4 ans, le bébé découvre le monde uniquement par l'action, de manière multimodale et multisensorielle : ainsi, la bouche sert autant à goûter qu’à sentir ou à voir. Quel est l’ «objet» le plus multisensoriel au monde ? C'est l'Humain: il a une température, une odeur, différentes textures et matières, produit des sons.... C’est pour cela qu’à la naissance, il est fondamental de prendre son enfant le plus souvent possible dans les bras. Le premier besoin de l’enfant est le besoin d'attachement : ils ont besoin que les adultes les aiment. Les multiples attachements (papa, maman, grands-parents, frères et sœurs, nounou, responsables de crèche) sont sécurisants pour l'enfant . Cela va leur donner la sécurité affective suffisante pour aller vers le jeu et pour apprendre le langage.

Ensuite, lorsque l’enfant commence à bouger un peu plus, il apprend par le mécanisme d’«essai/ erreur». Par exemple, il va se demander si une grosse boîte peut rentrer dans une petite boîte : pour arriver à se forger sa propre certitude, il va procéder à la répétition de la même action des milliers de fois avec toutes les variables possibles (changement de lieu, de personnes autour de lui, le jour, la nuit, sur le toboggan, dans son lit, du haut de sa chaise, etc.). Or l’adulte a souvent tendance à empêcher cet apprentissage, en disant au bout de 2 ou 3 essais (si on prend l’exemple cité): « Tu vois bien que cela ne fonctionne pas. Arrête de faire des bêtises et pose ces boites. »

La pensée d'adulte doit se mettre à la hauteur de l'enfant : au lieu de lui dire qu'il fait une bêtise, comprenons qu’il fait simplement une recherche. Un autre exemple que nous avons tous vécu est celui de la cuillère que l’enfant jette de dizaines et des dizaines de fois depuis sa chaise haute. Adultes, nous avons facilement tendance à nous sentir « provoqués » ou « testés » par l’enfant qui répète tant et plus son lancé. Pourtant, si la cuillère tombe à chaque fois, pour l’enfant, c’est nouveau à chaque fois : en effet, en tombant elle ne fait pas toujours le même bruit (tous les bébés ont l'oreille absolue), elle va plus ou moins loin... Si on ajoute à cela que lors des premières tentatives, la cuillère revient (l’adulte la ramasse et la repose à sa place initiale), on comprend alors que l’enfant réitère l’expérience. Au lieu de lui dire d’arrêter de nous tester et de chercher nos limites avec ses bêtises, le discours à tenir serait plutôt de le féliciter pour cette expérience extraordinaire, et d’insister sur sa persévérance et son intelligence. Même si au bout de plusieurs fois, rien ne nous oblige à ramasser la petite cuillère ;-)

Jeu et langage. Ma synthèse de la conférece "Aux sources du langage : le jeu et l'éducation", de Laurence Rameau le 19 mars 2015

Au niveau du langage, jusqu'à 8 mois tous les bébés reconnaissent tous les phonèmes de toutes les langues. Plus tard, un tri s’opère dans le cerveau et l’enfant ne retient que les phonèmes des langues qu'il entend (pour parler une langue, l’enfant doit être en immersion minimum 30% de temps) L'enfant apprend donc la langue de manière implicite, par le biais de stratégies propres aux bébés. L’enfant a besoin que nous comprenions que le monde dans lequel il arrive lui est totalement inconnu. Une chaise, pour lui, ne permet pas de s'assoir, même s'il nous voit assis dessus. Son intérêt sera en premier lieu de la pousser, puis de grimper dessus pour tester sa solidité. Il ne peut pas faire autrement, poussé par son élan. Là encore, il est fondamental d’arrêter de passer son temps à dire non : essayons plutôt d’organiser l'environnement pour qu'il puisse faire ses expériences en toute sécurité.

Trop d’enfants se trouvent dans un environnement où on ne leur parle pas et où on ne parle pas avec eux. Il est si facile pourtant de mettre en place un environnement propice à l'apprentissage du langage. Ainsi, on peut passer par le biais de tout ce qui relève du jeu relationnel (livres, comptines, chansons…). Là encore, il est souhaitable de proscrire les tables et chaises façon école : l'enfant doit avoir la possibilité de bouger. Un livre (qu’il ne faut pas voir comme moyen d’endormir l'enfant, mais plutôt comme vecteur d’échange) se lit avec l'enfant sur les genoux : c’est un support de langage interactif. S’il faut proscrire les environnements trop pauvres, il faut néanmoins veiller à éviter également les environnements surstimulants, car l'enfant ne pourrait alors pas se concentrer sur une chose et l’explorer en profondeur. A cet égard, la conférencière a cité Anne Marie FONTAINE, qui explique que les adultes doivent être des phares qui éclairent le jeu de l'enfant pour qu'ils se concentrent. Contrairement aux idées reçues, un enfant peut se concentrer sur un objet, ou une action, à condition que l’adulte l’accompagne, l’encourage au lieu de le freiner en considérant qu’il fait des bêtises. On pense qu'il faut changer tout le temps pour ne pas que l'enfant se lasse souvent c'est l'adulte qui se lasse pas l'enfant

Trop souvent, on propose à l’enfant une activité que l'adulte a conçue, sans penser à ses véritables besoins. Combien d’entre nous ont déjà, lors d’une « activité peinture », aidé la main de l’enfant qui peignait (ou pire, pris le pinceau à sa place) dans le seul but de finir vite, sans trop salir. Le besoin de l’enfant, dans ce cas, aurait été de patouiller dans la peinture, de l’étaler aux doigts, la goûter, en étaler sur son visage, ses vêtements, les objets qui l’entourent… Les adultes vont trop vite, se satisfont entre eux sur le dos de l'enfant, pour pouvoir brandir fièrement la preuve que l’enfant a fait quelque chose. Dans la même idée, lors d’une activité pâte à sel, l'intérêt de la réaliser un panier ou un bonhomme est celui de l’adulte. L’enfant, lui, souhaiterait expérimenter, en recevant des commentaires positifs et bienveillants sur ses essais. Sinon, l’enfant en déduit, petit à petit, qu’il doit faire plaisir à l'adulte au lieu de répondre à ses propres besoins.

Jeu et langage. Ma synthèse de la conférece "Aux sources du langage : le jeu et l'éducation", de Laurence Rameau le 19 mars 2015

Un autre enjeu réside dans le fait de laisser les enfants jouer entre eux avec le même jeu. Il peut être utile d’acheter plusieurs objets identiques, car avant 4 ans, l’enfant ne peut pas comprendre le concept de partage, de prêt ou de chacun son tour.

Si l’on résume, l’enfant a besoin de sécurité et d’aventure pour apprendre. Il faut proscrire le : « Dis le mot chat. Allez, répète : c’est un chat ». Proscrire également quand l’enfant, face à une patisserie, dit « to », de répondre : « non c'est un GA-TEAU ». Il faudrait préférer : «Ah, tu viens de demander un gâteau ». Il ne sert à rien de faire répéter jusqu'à ce que « ça rentre « , il est plus efficace de reprendre ce qu'il fait de manière positive ou d'obliger à dire « au revoir » ou « merci ».. C'est parce qu'il entend les adultes dire « merci » ou dire « au revoir » qu'un jour, l’enfant va répéter. Le reste n'est pas de l'apprentissage, c'est du conditionnement. Ne nous inquiétons pas si les enfants parlent tard : l'important est de savoir ce que l'enfant comprend, et pas combien de mots il dit.

Il faut que les enfants partent à l'aventure des mots comme ils partent à l'aventure de l'environnement. Évitons de proposer un environnement plat et hypersécurisé (à l’image de notre société de plus en plus hyper sécuritaire et hygiéniste) où il n'y a plus de vivant (arbres, terre, herbe, fleurs, animaux...). Laissons les enfants patouiller, intégrer les bases de la physique des changements possibles de la matière. Les chercheurs ont démontré, par exemple, que les enfants qui peuvent toucher les aliments apprennent plus vite que les autres le nom des aliments : cela s’explique, encore une fois, par la multimodalité.

Un peu plus tard, il est intéressant de proposer des jeux symboliques (= faire comme si, faire reproduire ce qu'il voit dans la vraie vie, par exemple jouer à la poupée, au garagiste, au docteur). Un des exemples les plus intéressants est sans doute de le faire participer aux tâches ménagères. Tout en faisant le ménage, on peut énormément parler, s’étonner (positivement) de ce que l’enfant parvient à faire.

Il faut partir de ce qui l’intéresse et lui parler du chemin (et pas du but). Ainsi, lorsque l’enfant réalise un dessin pour la première fois, après s’être servi des crayons pendant des semaines pour taper, mettre à la bouche, etc. Évitons de se saisir du dessin pour mettre son nom et l’afficher (objectif et plaisir uniquement de l'adulte). Évitons également le jugement de valeur («Tu as fait un beau dessin »). Privilégions plutôt la constatation et l’étonnement positif : « Oh, tu as trouvé une nouvelle manière d'utiliser le crayon ! »

Ne conditionnons pas nos enfants comme dans l’environnement scolaire : on les empêche d'apprendre et on leur refuse d'expérimenter. Seul le bébé peut savoir ce qui l'intéresse vraiment et ce qui va lui permettre l'apprentissage. Privilégions la pédagogie de l'étonnement et faisons entrer notre langage. C'est Bébé qui nous guide dans ses jeux, dans ses intérêts. Accompagnons l’enfant en le sécurisant. Soyons exigeants : parlons AVEC lui, de SON environnement, de SES actions, sans parler pour parler. On n'est pas dans l'idée du bain de langage. De même, cessons de préparer les enfants à la « suite » : arrêtons de préparer la primaire en maternelle, le collège en primaire etc. Nous sommes dans une société de la peur. Prenons le temps ; la petite enfance c'est le temps du jeu.

Il faut transformer le « Il fait forcément des bêtises » en « Il fait forcément des choses intéressantes ». Et s'impliquer par le "je" : « je trouve que tu fais quelque chose d'extraordinaire en ce moment ». Évitons le problème de la non introduction du « je » (« maman va te faire ça » au lieu de « je vais de faire ça »). De même, bannissons le « on », qui est très impersonnel : il faut choisir « nous » « vous » « tu » ; par exemple, « On va à la salle de bains, on va se laver» deviendra « Nous allons à la salle de bains, tu vas te laver ». Ne nous cantonnons pas aux ordres : parlons-leur de ce qu'ils sont en train de faire, c'est ce qui les intéresse le plus.

Donnons aux enfants la culture suffisante pour avoir un bagage lexical correct. C’est fondamental, car les bases du langage se mettent en place avant l'école. A l'entrée en maternelle, l'écart de langage est très important entre les enfants et l'école ne permet pas de rattraper ça. Cette différence de bagage est problématique car elle fait ensuite obstacle à certains apprentissages, comme la lecture. Ainsi, pour un enfant lire des mots qu'il ne connait pas, qu’il ne possède pas dans sa bibliothèque interne, est quasiment mission impossible.

Soyons des adultes phares, des adultes exigeants et des adultes bienveillants. L'apprentissage du langage se fait naturellement si l'environnement est riche. Les bêtises ne sont jamais des bêtises mais des jeux cognitifs…

Voilà ce que j’ai retenu de cette conférence de Laurence Rameau. Si son point de vue t’intéresse, tu peux aller lire ses ouvrages. Elle a notamment écrit : « Pourquoi les bébés jouent » « L’accueil en crèche » « Les incroyables aventures des bébés »…

A très vite, et en attendant, n’hésite pas à suivre la page facebook du blog :https://www.facebook.com/pages/Les-tribulations-de-Biboubinette-et-b%C3%A9b%C3%A9-Bouillette/1419353565020373?ref=hl